La seconde optique en ligne de mire

Une nouvelle génération d’horloges atomiques 100 fois plus précises que les horloges au césium est en passe d’arriver à maturité. Elles ouvrent la voie à une redéfinition de l’unité de temps programmée à l’horizon 2030.

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Définition de la seconde, extrait de la vidéo redéfinition des unités du SI
Depuis 1967 la seconde est définie par rapport à l'atome de césium

Réalisée avec une incertitude relative de l’ordre de 10-16, la seconde est l’unité fondamentale dont le degré d’exactitude est le plus élevé. En même temps, elle est celle dont la définition est la plus ancienne, depuis 1967. A l’inverse, quatre des sept unités du Système international (SI), le kilogramme, l’ampère, le kelvin et la mole, ont vu leur définition changer en 2018. A la croisée des avancées fondamentales et du progrès des techniques, la métrologie n’a en effet de cesse de se réinventer, gagnant en précision et offrant de ce fait de nouvelles possibilités à ses utilisateurs finaux. Ainsi, ces dernières années, les métrologues ont entamé leur dernier grand chantier de ce début du XXIe siècle, qui vise, à l’horizon 2030, à l’adoption d’une nouvelle définition de l’unité de temps offrant une réalisation dont le potentiel de précision est au moins 100 fois meilleur que la définition actuellement en vigueur.

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Horloge césium
Horloge au césium du LNE-SYRTE

 Après avoir été définie à partir de la durée du jour terrestre puis à partir de celle d’une année, la seconde est définie depuis 1967 comme la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133. Concrètement, cette définition est mise en œuvre dans les différents laboratoires nationaux de métrologie de par le monde grâce à des horloges atomiques. Et les données qui en sont issues sont utilisées par le Bureau international des poids et mesures, le BIPM, pour calculer le Temps atomique international (TAI), à partir duquel on définit le Temps universel coordonné (UTC). Dans cette infrastructure, le LNE-SYRTE tient une place à part. Grâce à la précision et la disponibilité de ses étalons – deux horloges au césium et une troisième au césium/rubidium – le laboratoire français réalise en effet 40 % des étalonnages primaires du TAI au niveau mondial.

Fondé sur la mesure de la fréquence d’une radiation située dans la partie micro-onde du spectre électromagnétique, le temps atomique ne dévie pas plus d’une seconde par tranche de 100 millions d’années. De l’autre,

« Le niveau de maîtrise atteint avec les horloges au césium est désormais tel que l’on ne peut pas faire mieux en matière de précision. »

Maguelonne Chambon, directrice de la recherche scientifique et technique du LNE

Pourtant, des réseaux de communication ou d’énergie à la physique fondamentale, en passant par les géosciences et l’astronomie, de nombreux domaines gagneraient à voir la mise en place d'une définition offrant une réalisation encore plus précise de l’unité de temps.

Ainsi, depuis une quinzaine d’années, notamment à la faveur des progrès réalisés dans le domaine des lasers femto-seconde, les métrologues planchent sur une nouvelle génération d’horloges : les horloges optiques. Leur principe ? Une transition atomique située dans la partie optique du spectre électromagnétique, dont la fréquence est par conséquent bien plus élevée que celle d’une transition micro-onde. De la même manière qu’une règle est d’autant plus précise que ses graduations sont serrées, les horloges optiques sont donc intrinsèquement plus précises que leurs alter ego au césium.

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Horloge à réseau optique au strontium
Horloge à transition du strontium développée par le LNE-SYRTE

En pratique, différentes espèces atomiques ou ioniques sont exploités dans plusieurs laboratoires qui ont démontré qu’une horloge optique permet effectivement d’atteindre une exactitude de fréquence relative de l’ordre de 10-18, qui correspondrait à une dérive d’une seconde sur une durée équivalente à l’âge de l’univers ! De son côté, le LNE-SYRTE a développé deux horloges fondées sur une transition du strontium, et une autre utilisant le mercure. Le laboratoire de métrologie développe par ailleurs actuellement une horloge optique transportable utilisant de l’ytterbium.

Vers une nouvelle redéfinition

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Logo de la 27e CGPM
La 27e réunion de la CGPM se tiendra en novembre 2022

Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les horloges optiques sont amenées à devenir, à terme, les nouveaux étalons de temps. En revanche, un long chemin reste encore à parcourir pour passer du laboratoire à une infrastructure métrologique mondiale robuste et pérenne, capable de supplanter le césium. Pour y parvenir, la prochaine Conférence générale des poids et mesures (CGPM), qui se tiendra à Versailles du 15 au 18 novembre 2022, adoptera une feuille de route devant conduire in fine à la mise en place de la « nouvelle » définition de la seconde. Comme le précise, Noël Dimarcq, Président du Comité consultatif du temps et des fréquences (CCTF), au sein du Comité international des poids et mesures (CIPM), « cette feuille de route vise à ce que nous parvenions à un consensus sur la meilleure façon de redéfinir la seconde d’ici 2026, pour une adoption définitive de la nouvelle unité probablement en 2030. »

Pour l’heure, les métrologues envisagent trois possibilités, dont deux font réellement débat. La première consisterait à sélectionner une transition particulière (dans le domaine optique) d’un atome ou d’un ion, de la même manière que la définition actuelle est liée au seul césium. Si cette option peut sembler la plus naturelle, Sébastien Bize, au LNE-SYRTE, fait remarquer que « à l’heure actuelle, il existe une dizaine de transitions atomiques prometteuses. En sélectionner une seule reviendrait donc à ne pas tirer profit d’une grande partie du travail accompli ces dernières années par de nombreuses équipes de métrologie. » Ainsi, les scientifiques du LNE-SYRTE ont formulé récemment une autre proposition : fonder la définition de la « nouvelle » seconde non pas sur une seule transition, mais intrinsèquement sur un ensemble de transitions, chacune permettant séparément de réaliser la définition. « Nous avons montré qu’une telle définition de l’unité de temps aurait bien toutes les propriétés requises », ajoute le physicien.

Par ailleurs, performances, fiabilité, inter-comparaisons, disponibilité, continuité… la feuille de route présentée à la CGPM détaille l’ensemble des critères qui devront être satisfaits avant de pouvoir prendre effectivement la décision de redéfinir la seconde. Comme l’indique Noël Dimarcq, « pour l’instant, la maturité technologique des horloges atomiques et des moyens de comparaison et de distribution de leurs signaux doit s’améliorer et d’importants efforts sont encore à fournir en matière de déploiement et de renforcement ».

La France au premier plan 

En la matière, le LNE-SYRTE est aux avant-postes, avec à son actif plusieurs résultats et réalisations prometteurs. Ainsi, depuis 2017, le laboratoire dispose d’une station automatique de mesures et d’inter-comparaisons de ses références optiques permettant d’établir des bilans d’exactitude sur plusieurs semaines sans intervention humaine. Par ailleurs, cette même année, le laboratoire français a organisé avec son alter ego allemand, la PTB, la première campagne d’inter-comparaison par fibre optique de leurs horloges optiques respectives. Campagnes auxquelles se sont adjoints au fil des ans d’autres laboratoires nationaux, notamment britannique et italien. Un programme d’inter-comparaison avec des horloges transportables a également été mené avec la PTB, et un autre est en préparation avec les métrologues japonais. Comme l’explique Sébastien Bize, « non seulement la reproductibilité des horloges optiques doit être démontrée au niveau international avant toute adoption définitive d’une nouvelle définition, mais, à terme, des comparaisons routinières seront indispensables pour garantir leur robustesse dans la durée. »

Afin d’engager la transition vers la nouvelle seconde, il est également important de renforcer l’utilisation des horloges optiques pour l’étalonnage du TAI, en complément de celui réalisé en routine avec les horloges au césium. En 2017, le LNE-SYRTE a ainsi été le premier laboratoire à connecter une de ses horloges au strontium au réseau mondial micro-onde. Les étalonnages ainsi réalisés ont alors été intégrés à la circulaire T en lien avec la construction du TAI par le BIPM. Ces étalonnages n’ont pas encore d’influence sur la précision de la réalisation de l’unité de temps puisque leurs incertitudes restent limitées par celles des horloges à césium. Mais ils démontrent néanmoins tout le potentiel des horloges optiques. « Des mesures régulières sur nos horloges optiques, une contribution de leur part au temps atomique international et la multiplication des inter-comparaisons sont les trois axes qui structurent nos travaux en direction de la refonte de l’unité de temps », synthétise Sébastien Bize.

Ouvrir la voie à de nouvelles applications

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Définition de la seconde
Un besoin de synchronisation accru dans de nombreux domaines

Lorsque celle-ci sera effective, la nouvelle définition bénéficiera immédiatement à de nombreux utilisateurs du temps atomique, que ce soit pour des expériences scientifiques ou pour des applications à fort enjeu socio-économique. Ainsi, s’agissant des réseaux de télécommunications, l’augmentation des débits, de même que celle du nombre d’objets connectés – 20 milliards en 2020 ! – s’accompagne de besoins en synchronisation accrus. Il en va de même concernant les transactions bancaires à haute fréquence, les réseaux distribués d’énergie ou encore les nouvelles usines « intelligentes » permises par les outils numériques. Quant aux systèmes de positionnement par satellites, fondés sur une mesure du temps de parcours d’un signal électromagnétique, la seconde optique permettra d’en améliorer la précision et la robustesse, avec entre autres des applications en géophysique, par exemple pour l’étude du mouvement des plaques tectoniques ou le suivi de l’élévation du niveau des océans. La précision des horloges optiques ouvre également la voie à une nouvelle discipline, la géodésie chronométrique, fondée sur la mesure des petites différences de rythme, prévues par la relativité générale, entre deux horloges atomiques situées à des altitudes différentes. Au niveau de précision des horloges optiques, la mesure de ces différences conduira à une sensibilité en altitude meilleure que le centimètre, au-delà de la sensibilité des méthodes géodésiques actuelles les plus performantes.

Sensible aux effets les plus fins de la relativité, le temps optique permettra également d’en tester les limites dans le cadre des recherches visant à dépasser la théorie d’Einstein ou à l’inclure dans un cadre compatible avec la mécanique quantique. Sébastien Bize ajoute : « il est également possible que des horloges optiques, en mesurant l’éventuelle variation dans le temps de rapports de fréquence d’horloges différentes, et en la corrélant avec le mouvement de la Terre, permettent enfin de mettre en évidence la matière noire, dont les astrophysiciens mesurent les effets gravitationnels, mais dont on ignore la nature. » La nouvelle seconde, plus exacte que jamais grâce aux progrès réalisés en physique ces dernières années, deviendrait alors l’agent à même de révolutionner la discipline qui lui a donné naissance !

Pour en savoir plus

>> Dossier Système international d'unités

Présentation video du SI

LNE-SYRTE