Nucléaire
les défis de la relance

Les besoins croissants en énergie, surtout en électricité bas carbone, pour alimenter l’électrification des usages, l’expansion du numérique et la déferlante de l’intelligence artificielle ont enclenché une relance du nucléaire partout dans le monde. En France, le président de la République et le Conseil de politique nucléaire ont défini les grandes orientations d’un ambitieux plan de développement, avec quelques défis à relever pour la filière en matière d’investissement, d’innovation et de gestion des déchets. Défis que la métrologie et les essais industriels de pointe accompagnent pour garantir la parfaite sûreté des installations.

La demande d’énergie mondiale, en particulier d’électricité, est en plein boom ! En 2024, la consommation totale d’énergie a progressé de 2,2 %, soit presque deux fois plus que la moyenne des dix années précédentes, et celle d’électricité de 4,3 %, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les raisons de cette explosion d’électrons sont multiples : reprise post-covid de l'industrie, besoins croissants de climatisation, électrification des usages pour lutter contre le changement climatique… En 2024, les ventes de véhicules électriques ont par exemple augmenté de plus de 25 % pour représenter environ 20 % des ventes mondiales de voitures neuves ; une part qui devrait atteindre 50 % d'ici 2030. A cela s’ajoute l’essor du numérique et de l’IA : la consommation des data centers devrait doubler entre 2022 et 2025.

Nucléaire, le renouveau à l’échelle mondiale

Dans ce contexte, alors qu’elle a longtemps été décriée, l’énergie nucléaire représente une solution décarbonée pleine d’avenir, et reconnue comme telle lors de la COP28 : on s’y est engagé à tripler sa capacité mondiale d’ici à 2050. Rien qu’en 2024, plus de 8 GW de capacité nucléaire ont été ajoutés et sept nouveaux réacteurs, raccordés. Et début 2025, on ne dénombrait pas moins de 62 réacteurs en construction dans 15 pays (la moitié en Chine) pour une capacité totale de plus de 70 GW.

Dans son rapport de janvier 2025(1), l’AIE souligne l’essor des petits réacteurs modulaires (PRM, ou SMR pour small modular reactors) : plus de 80 modèles seraient en cours de conception à travers le globe. Promettant une réduction des délais et des coûts de construction, cette technologie intéresse en effet de plus en plus d’États, comme l’Inde, le Royaume-Uni et la France, mais aussi des entreprises privées, pour alimenter leurs centres de données et atteindre leurs objectifs de décarbonation. C’est le cas de Google et d’Amazon, outre-Atlantique, qui vont bientôt se fournir en énergie auprès de start-up spécialisées dans les SMR, tandis que Microsoft a signé un contrat pour relancer l'un des réacteurs de la centrale historique de Three Mile Island, en Pennsylvanie.

Nouvelle concurrence à l’Est

Cette relance du nucléaire soulève toutefois des questions pour l’Occident concernant la sécurité de l’approvisionnement en combustible (depuis la Russie ou l’Afrique subsaharienne), tout en créant une forte compétition technologique et économique – sous le leadership de l’Asie.

Déjà premier constructeur de réacteurs sur son sol, la Chine devrait bientôt dépasser les États-Unis pour devenir le plus grand parc mondial. Pour sa part, l’Inde est le deuxième pays au monde en matière d’installations nucléaires en cours de construction. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Bangladesh, la Turquie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan ou encore les Philippines rejoignent le mouvement. Cette dynamique de croissance à l’Est redéfinit les rapports de force entre les principaux exportateurs de technologies nucléaires. Les spécialistes français de l’atome doivent ainsi faire face à une sérieuse concurrence de la part des États-Unis, de la Russie, de la Corée du Sud et de la Chine.

L’ambition française se précise

De fait, la France a bien l’intention de réactiver sa filière. C’était l’objet du discours d’Emmanuel Macron à Belfort en 2022 : un vaste plan de relance a été annoncé, avec la construction de six réacteurs nucléaires EPR2 d’ici 2050 et la prolongation au-delà de cinquante ans de « tous les réacteurs qui peuvent l’être ». Cette ambition s’est inscrite dans le plan d’investissement France 2030 et la loi du 22 juin 2023, qui permet d’accélérer les procédures de construction des six EPR2 - à Penly, à Gravelines et au Bugey -, et d’en construire huit autres.

Nouvelle étape dans ce plan de relance, le Conseil de politique nucléaire (CPN) du 17 mars 2025 a défini un calendrier et un schéma financier pour le programme EPR2, avec : un premier réacteur opérationnel d’ici à 2038, la prolongation à 60 ans des 56 réacteurs actuels, une stratégie de sécurisation des ressources en uranium et la modernisation des infrastructures de traitement des déchets. Il a aussi confirmé l’intérêt du pays pour les petits réacteurs modulaires(2), notamment à travers le soutien à Nuward. Ce projet de SMR, utilisant la technologie des réacteurs à eau pressurisée, vise notamment à fournir de l’électricité (en lieu et place des centrales à charbon) et à produire de la chaleur industrielle et urbaine ; il doit être opérationnel dès 2030. Nuward bénéficie du programme d’investissements France 2030(3), tout comme d’autres projets de SMR (par exemple ceux des start-up Calogena et Jimmy, déjà bien avancés).

Le CPN a aussi acté la relance des études sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR), dont le programme avait été stoppé en 2019 (Astrid). Appartenant à la quatrième génération de réacteurs, le RNR recherche plus de sûreté, mais aussi plus de durabilité en fermant le cycle du combustible - et en économisant ainsi les ressources naturelles d’uranium. Un premier démonstrateur refroidi au sodium est annoncé à l’horizon 2045.

La question du recyclage

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Le programme de R&D sur les techniques de multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée entend augmenter la quantité de matières recyclées dans les réacteurs français.

Concernant le traitement-recyclage des combustibles usés, le Conseil de politique nucléaire a d’ailleurs confirmé la poursuite des investissements dans le programme Aval du futur, mené par Orano sur le site de la Hague. Il est prévu la construction d’une usine de traitement, d’une usine de fabrication de MOx (Mixed Oxide fuel) avec l'uranium appauvri et le plutonium recyclé, et de bassins d’entreposage de combustibles usés.

Les déchets ultimes restent, eux, confinés dans des installations surveillées de près, sous l’égide de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Actuellement en construction, le centre d’enfouissement de déchets hautement radioactifs Cigeo, à Bure, doit entrer en phase industrielle pilote d’ici à 2027, pour un début d’exploitation après autorisation vers 2035.

Par ailleurs, inscrit dans le plan France 2030 et coordonné par Orano, le programme de R&D sur les techniques de multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée (MRREP) entend aussi augmenter la quantité de matières recyclées dans les réacteurs français.

Quant aux efforts de R&D sur les technologies de rupture des SMR, ils offrent de nouvelles perspectives sur la réduction du volume et de la radioactivité des déchets.

Les enjeux de la filière

Afin d’assurer l’adéquation entre les besoins futurs de la filière et les enjeux à venir, le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen) a lancé, en 2023, le programme MATCH. Cet outil de pilotage vise à accélérer les recrutements, estimés à environ 100 000 sur dix ans pour l’ensemble de la filière, et à assurer les transferts de compétences, dans des domaines clés comme la chaudronnerie, la fonderie, le soudage et la robinetterie, la radioprotection, les essais et contrôles.

L’autre enjeu de taille pour la filière nucléaire française est de renforcer son excellence opérationnelle et de lui faire retrouver un haut niveau de qualité, de sécurité et de compétitivité, à la fois pour maintenir le parc actuel en conditions opérationnelles et prolonger sa durée de fonctionnement, mais aussi pour développer des technologies innovantes pour les EPR2 comme pour les SMR.

Tous s’accordent à dire que l’innovation et la R&D doivent être au cœur des plans d’action, tant pour la conception des nouveaux EPR2 et SMR et le développement des futurs RNR ou des réacteurs à sels fondus (RSF), que pour les procédés de construction et les outils d’analyse et d’essais des composants et installations.

La métrologie et les essais industriels de pointe, clés de la sûreté

Pour accompagner les équipementiers, producteurs-exploitants et prestataires de service de la filière nucléaire française, le LNE répond à leurs besoins de métrologie et d’essais de pointe. Ses compétences adaptées au domaine du nucléaire lui permettent de proposer diverses prestations : étalonnage, qualification métrologique et essais de robustesse des équipements ; caractérisation thermique de matériaux ; surveillance de la température des eaux rejetées par les centrales ; assistance technique et formation.

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Banc d'essais du LNE dédié à la qualification des sondes de températures

Compte tenu des exigences accrues sur la précision des systèmes de mesure, le LNE a ainsi réhabilité, en collaboration avec le groupe EDF, son banc d’essais dédié à la qualification des sondes de température. Ce dispositif permet d’évaluer le temps de réponse des sondes, en les soumettant à des variations de 11 °C (de 50 °C à 61 °C) réalisées à l’aide de deux boucles d’eau thermostatées. Des tests de robustesse (climato-mécaniques, physico-chimiques, vibratoires…) et de compatibilité électromagnétique sont également menés pour les équipements installés dans les centrales. Et le LNE a aussi proposé son assistance pour améliorer l’exactitude des mesures de systèmes dits « intelligents », comme les postes de soudage de haute précision.

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Banc de référence du LNE pour la mesure de diffusivité
thermique jusqu'à 3 000 °C

Par ailleurs, le Laboratoire a récemment offert son expertise à des équipementiers pour mesurer la conductivité thermique jusqu’à 330 °C de matériaux métalliques destinés à des tubes d’échangeurs de chaleur, afin de valider l’efficacité des transferts de chaleur dans l’échangeur. Il a également réalisé une analyse de défaillance sur des matériaux utilisés à haute température pour Orano, ou encore mené des essais feu dans le cadre d’une solution d’Ingénierie de Sécurité Incendie (ISI) pour le CEA et EDF.

Dans le cadre du prolongement des réacteurs actuels, mais aussi de la construction de ceux de Penly, de Gravelines et du Bugey, le LNE devrait être sollicité pour assurer la qualification métrologique et la robustesse des équipements et systèmes de mesure. Il se penche également sur la question de l’automatisation de l’étalonnage et de l’auto-évaluation à distance pour les prochains EPR2 et SMR.

 

Des déchets sous haute surveillance
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Logo ANDRA
ANDRA : agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs

Partenaires depuis 2011, le LNE et l’Andra développent en commun des méthodes et dispositifs pour l’étalonnage et le suivi d’instruments de mesure (capteurs, sondes…) destinés à l’observation et à la surveillance des centres de stockage de déchets radioactifs. Les deux partenaires ont ainsi conçu des dispositifs d’étalonnage ou de contrôle in-situ de capteurs de température à fibre optique, testés à 500 mètres de profondeur dans le laboratoire souterrain de l’Andra. Ils ont également optimisé le dispositif de suivi de la qualité des eaux de surface mis en place par l’Andra dans la perspective du projet Cigéo, à Bure.

L’un des facteurs clés de surveillance des déchets étant l’élévation de température de la structure dans laquelle ils sont stockés, les deux entités, qui ont prolongé leur collaboration jusqu’en 2027, se projettent sur de nouvelles générations de sondes et sur des technologies innovantes de traitement de données, intégrant possiblement des algorithmes d’intelligence artificielle.

Par ailleurs, dans le cadre de la Métrologie française, le Laboratoire National Henri Becquerel (LNE-LNHB) poursuit des recherches sur la radioactivité des déchets. De récents travaux menés avec l’Andra dans le cadre de l’assainissement des sites contaminés ont permis de développer des étalons pour les moniteurs de contamination surfacique. Enjeu : fiabiliser l’inventaire des déchets radioactifs pour les acheminer vers la bonne filière de gestion.

[dossier publié en juin 2025]


Références :

[1] Rapport de l'IEA : The Path to a New Era for Nuclear Energy 

[2] Autorité de Surêté Nucléaire (ASN)

[3] Programme France 2030 : lauréats du dispositif « Réacteurs nucléaires innovants »