Technologies quantiques : la révolution est en marche

Découverte dans la première moitié du XXe siècle, la physique quantique, science des atomes et des particules élémentaires, n’a cessé de surprendre et d’émerveiller les physiciens par son caractère déconcertant. Aujourd’hui en passe d’être « domestiquée », elle offre la promesse d’une révolution technologique dont les premiers fruits commencent à essaimer en dehors des laboratoires de recherche fondamentale. Afin de faire de la France un futur poids lourd d’un secteur clé pour la souveraineté et la compétitivité économique des états, le président Macron a présenté en janvier dernier une Stratégie nationale sur les technologies quantiques. Le LNE et ses partenaires y sont pleinement associés.

Des calculateurs si puissants qu’ils auraient le pouvoir de prédire en quelques minutes la conformation idéale d’une molécule thérapeutique, la composition d’un matériau capteur de CO2 ou d’optimiser le  trafic autoroutier à l’échelle d’un territoire ; des réseaux de communication inviolables et en même temps la possibilité de casser n’importe quel code cryptographique « adverse » ; des capteurs ultrasensibles capables d’anticiper de l’espace la survenue d’inondations, de sécheresses ou de séismes… Ces promesses, ce sont celles des technologies quantiques. Fondées sur l’exploitation des lois de l’infiniment petit, elles commencent à essaimer à l’extérieur des laboratoires et représentent désormais un enjeu crucial de souveraineté et de compétitivité pour toutes les grandes nations scientifiques et techniques. Ainsi, le 21 janvier dernier, le Président Macron a présenté la Stratégie nationale sur les technologies quantiques. Doté d’une enveloppe de 1,8 milliards d’euros, ce plan a pour objectif de mettre sur pied l’écosystème capable de propulser la France dans le peloton de tête des nations maitrisant ces technologies. Un plan dont le LNE et ses partenaires sont une partie-prenante incontournable. 

L’ordinateur quantique : un rêve de physiciens qui devient réalité

Image
Ordinateur quantique
Ordinateur quantique

Au fondement de cette révolution, il y a les lois contre-intuitives de la mécanique quantique. Contre-intuitives c’est peu dire. Au sein de l’univers microscopique, une particule, un atome ou un grain de lumière peuvent en effet se trouver dans plusieurs états ou endroits à la fois, mais aussi composer des objets dits intriqués, à la fois composites et pourtant irréductibles. 

Dans les années 80, le prix Nobel de physique Richard Feynman est le premier à imaginer comment tirer partie de ces propriétés déconcertantes : Alors que dans un ordinateur classique, les unités d’information, les bits, prennent les valeurs 0 ou 1, il imagine un processeur au sein duquel des corpuscules quantiques joueraient le rôle de « qubit » susceptibles d’encoder à la fois les valeurs 0 et 1.  A la clé, la possibilité de calculs massivement parallèles, de quoi reléguer, du moins en principe, les plus puissants ordinateurs actuels au rang de simple calculette pour la résolution d’une kyrielle de problèmes.

Au départ, ce n’est qu’une intuition. Mais au fil des années, plusieurs chercheurs démontrent formellement les performances calculatoires dont serait effectivement doué un tel ordinateur. En parallèle, molécules en phase liquide, ions piégés par des faisceaux laser, impuretés dans les solides, circuits supraconducteurs… différents systèmes physiques candidats putatifs au statut de qubit sont mis en œuvre dans les laboratoires, jusqu’à la réalisation expérimentale d’opérations logiques simples sur de « mini ordinateurs quantiques ». 

Apprenant petit à petit à manipuler des objets microscopiques dont les propriétés sont par ailleurs extrêmement sensibles à leur environnement, les physiciens comprennent que leurs recherches sur le calcul quantique leurs ouvrent des pistes insoupçonnées pour imaginer des capteurs ultrasensibles. Enfin, parvenant à distribuer sur de très longues distances, soit par satellite, soit par fibre optique, des systèmes quantiques intriqués, ils jettent les bases de communications impossibles à intercepter par un tiers malveillant. D’un mot, la révolution quantique est en marche. 

Ces dernières années elle a même pris un tournant décisif avec l’entrée en piste des géants du numérique. Certes, leurs annonces fracassantes en matière de prouesses quantiques font l’objet de discussions serrées entre spécialistes. Mais il est clair que c’est désormais bien l’ordinateur quantique en tant que tel qui est visé, tout comme c’est l’objectif de toutes les grandes puissances, Etats-Unis et Chine en tête.  

Faire de la France un poids lourd des technologies quantiques

Image
Affiche sur la stratégie nationale quantique
Stratégie nationale quantique

De son côté, la France présente de magnifiques atouts, à commencer par des laboratoires de recherche fondamentale au plus haut niveau mondial d’où sont issus plusieurs prix Nobel de physique. Mais également une poignée de groupes industriels de premier plan (Atos, Thalès, Orange, Air Liquide…) qui ont commencé à se mobiliser, et un tissu de startups innovantes parmi lesquelles Pasqal, Alice & Bob, C12 Quantum Electronics, Quandela, ou encore Qubit Pharmaceuticals. 

Dans ce contexte, la Stratégie nationale représente « la clé pour être au moins parmi les trois premiers mondiaux », a affirmé Emmanuel Macron lors de la présentation de ce plan d’investissement public-privé qui, en cinq ans, doit servir de levier dans la structuration de l’écosystème quantique français. Un plan dont les investissements seront répartis comme suit : 780 millions d’euros pour les seuls ordinateurs quantiques, 320 pour les communications, 250 pour les capteurs, 300 pour les technologies annexes (ou habilitantes) telles la cryogénie, l’électronique, les lasers ou les matériaux, et 150 pour la cryptographie dite post-quantique. 

Au sein de ce programme, la métrologie, et donc le LNE et ses partenaires, notamment du Réseau National de la Métrologie Française (RNMF), sont appelés à jouer un rôle clé. Le déploiement d’une plateforme en métrologie quantique sera au cœur de cette contribution. Celle-ci doit permettre la mise en œuvre d’actions de R&D sur la nouvelle génération d’étalons quantiques et leur dissémination en tirant partie des progrès des technos quantiques, en même temps qu’apporter des réponses aux besoins de mesure liés au développement de ces technologies. Ce second volet pourra concerner, la mise au point d’outils et de méthodes de mesure, de caractérisation, adaptés et validés, l’établissement de chaines de traçabilité, ainsi que leur mise en oeuvre… l’ensemble devant conduire à la mesure fiable des performances indispensable pour déployer une techno à l’échelle industrielle et assurer sa compétitivité.  

Stratégie nationale quantique

La métrologie, une discipline au carrefour des technologies quantiques

Image
Horloge à réseau optique au strontium
Horloge à réseau optique au strontium

Sur l’ensemble de ces problématiques, le LNE jouit d’une certaine manière d’une double légitimité. Tout d’abord, celle liée bien évidemment à un savoir-faire général sur la mesure et l’établissement de référentiels. Mais aussi du fait d’une expertise de niveau mondial sur les étalons quantiques. 

Ainsi, grâce à la précision et à la disponibilité de ses horloges atomiques, le LNE-Syrte réalise à lui seul 40 % des étalonnages primaires permettant de définir le temps universel au niveau mondial. Le laboratoire est aussi pionnier dans le développement des horloges dites optiques qui, à termes, devraient remplacer les horloges au césium utilisées actuellement pour définir la seconde. 

Image
Circuit quantique
Loi d'Ohm : circuit quantique

Dans le cadre de la réforme du SI adoptée en novembre 2018, les métrologues du LNE ont par ailleurs été les premiers à proposer un étalon quantique fondé sur l’effet Hall quantique et l’effet Josephson afin de réaliser la nouvelle définition de l’ampère. Ils ont également mis en œuvre un étalon de résistance à base de graphène avec une exactitude record et dans des conditions expérimentales simplifiées propres à sa plus large dissémination.

Or les travaux du LNE sur les étalons quantiques illustrent à merveille la façon dont le développement d’une métrologie quantique nourrit la synergie devant conduire à l’avènement de l’ingénierie quantique. Ainsi, travailler sur le graphène, c’est travailler sur un matériau aux propriétés électroniques exceptionnelles présentant un intérêt pour certaines technologies quantiques, inscrivant une partie des développements menés au LNE dans le volet « technologies habilitantes » de la Stratégie nationale. Mieux, les travaux sur l’effet Hall quantique dans le graphène, menés avec le CEA-Saclay, ouvrent vers le développement de circuits quantiques permettant à la fois la mesure fine des états d’un électron et leur manipulation pour la réalisation de qubits électroniques dits « volants ».

La collaboration passée entre le LNE et le CEA-Grenoble sur les nanofils de silicium offre un autre exemple frappant. Si ces derniers ont été étudiés pour un futur étalon de courant mono-électronique, il s’avère que ces composants présentent également des propriétés physiques qui pourraient en faire des qubits fondés sur le spin de l’électron. Leur intérêt par rapport à d’autres ? Ces briques élémentaires potentielles d’un futur ordinateur quantique ont l’avantage d’être compatibles avec les techniques d’intégration à large échelle issues de la microélectronique. 

La métrologie du temps est dans la même logique d’interfécondité des recherches sur les technologies quantiques. Précisément, grâce aux horloges optiques actuellement en développement, les métrologues imaginent atteindre une précision de 10-18 dans la définition de la seconde, contre aujourd'hui 10-16 avec les horloges atomiques au césium. Or à ce niveau de précision, on devient sensible à des effets géodésiques via la variation du potentiel gravitationnel, effets dont il faut donc tenir compte pour atteindre la précision visée. Mais en retour cela signifie qu’une horloge optique pourrait devenir un capteur géodésique quantique précis au centimètre près d’après les estimations des chercheurs.  

Image
Comparateur cryogénique de courant
Comparateur cryogénique de courant

Enfin, on peut également citer les travaux du LNE-CNAM dans le domaine de la métrologie des températures. Ainsi, dans le cadre de la redéfinition du kelvin, en 2018, le laboratoire a mis au point un thermomètre acoustique original permettant de relier la vitesse du son dans un gaz à sa température thermodynamique. Or un tel dispositif ou encore les résonateurs opto-mécaniques sur lesquels le laboratoire travaille pourraient également servir pour la caractérisation fine des conditions cryogéniques nécessaires à la réalisation d’un ordinateur quantique.

Alors que la Stratégie nationale quantique a été dévoilée en début d’année, le LNE et l’ensemble des organismes nationaux de recherche, laboratoires universitaires, industriels et startups impliqués commencent à s’organiser autour des premiers sujets identifiés. S’il est donc trop tôt pour communiquer sur le détail des problématiques qui seront in fine adressées, les métrologues français et leurs partenaires devraient être associés au développement de référentiels de mesure et d’évaluation sur l’ensemble des sujets couverts par la Stratégie nationale quantique, des capteurs aux calculateurs quantiques, en passant par les systèmes de communication et de cryptographie, sans oublier les technologies habilitantes.  
Avec ce plan à cinq ans, la France affiche une ambition forte. Au-delà, elle espère entrainer d’autres pays européens, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, afin de faire de l’Europe le centre de gravité mondial de ce qui s’annonce telle une véritable révolution technologique.